jeudi 17 février 2011

Un témoignage anarchiste depuis l'Egypte

La nuit dernière, un anarchiste du Liban est venu présenter un témoignage sur la situation en Egypte à notre centre social, et je voulais transmettre cette information aux camarades anglophones. Il s'agit d'une série de notes extraites du discours, soulignant les questions que des anarchistes qui ont suivit les évènements à travers la couverture des grands médias sont susceptibles de se poser sur la situation.

La personne qui a pris la parole a été impliquée dans l'organisation de la solidarité avec le peuple égyptien, et une partie de l'entretien a été réalisée en contact avec une amie depuis la place Tahrir afin que nous puissions lui poser quelques questions directement.



La révolution en Egypte a été spontanée et auto-organisée, elle s'est propagée du Caire à d'autres grandes villes en provinces, où, dans un certains nombre de zones, des Bédouins ont pris les armes contre la police et l'armée. La révolution n'a pas été pacifique, mais dans la plupart des cas, elle a été désarmé, en raison du simple fait que la plupart des gens n'ont pas recours aux armes en dehors des pierres, gourdins, bombes de peinture aérosol, et cocktails Molotov, qui ont tous été utilisés contre les forces de police en abondance. (Les bombes de peinture sont utilisées sur les visières des flics, ce qui les oblige à les relever pour voir, pour leurs yeux). Lorsque des nervis paramilitaires du gouvernement ont attaqué les manifestant-e-s sur la place Tahrir (l'incident a été décrit initialement par les médias occidentaux comme un affrontement entre partisans et adversaires de Moubarak), ils ont été repoussés avec force.


Parce que les égyptiens ont vécu sous la dictature depuis longtemps maintenant, seules les personnes les plus âgées ont l'expérience des combats de rue, donc une forme importante de solidarité par des camarades dans d'autres pays a consisté en la création de dépliants/brochures d'information en arabe expliquant ce que sont essentiellement les tactiques de combats de rue type Black Blocs. Compte tenu de la participation d'anarchistes et de militants anti-mondialisation dans cette aide directe, la référence au Black Bloc ne doit pas être vue comme une métaphore ou de l'exagération.

Une autre forme importante de solidarité a été de reconnecter l'Egypte à Internet. Soit par le biais de liens personnels ou même dans de nombreux cas de photocopies, de feuilles d'information, envoyées à des numéros de fax au hasard en Egypte, des centaines de personnes en dehors de l'Égypte ont montré aux manifestant-e-s en Egypte comment contourner la censure et se reconnectez à Internet. Jusqu'à présent, les camarades en Egypte ont généralement refusé des offres de collecte de fonds, ce qui fait que le régime ne peut pas prétendre que la rébellion a été financée par les anarchistes européens.

La participation à l'insurrection a été générale et inter-générationnelle. Dans un pays de 80 millions d'habitant-e-s, 3 millions sont régulièrement sorti dans la rue au Caire et plusieurs millions d'autres dans d'autres dans les grandes villes. La population rurale est moins susceptible de se mobiliser dans des lieux centraux, mais ils ont participé à l'insurrection par d'autres moyens.

De nombreux médias occidentaux ont eu tendance à mettre l'accent sur la participation des hommes dans leurs images flimées, mais dès le premier jour de nombreuses femmes ont participé aux manifestations et aux combats de rue. La camarade avec qui nous étions en contact sur la pace Tahrir Square est une trans [queer] anti-autoritaire, alors quand [she] elle nous dit "tout le monde -là-bas- est uni", nous sommes enclins à interpréter les choses différemment que si un représentant syndical nous disait la même chose.

Les masses se sont réunis sur le place Tahrir de manière auto-organisée à travers une assemblée qui a permis la communicationa et organisé le rationnement alimentaire des gens là-bas, ainsi que le nettoyage des rues, et l'auto-défense contre les nervis du gouvernement. Plusieurs fois, les médias étrangers ont cité comme porte-parole des jeunes des organisations qui prétendent représenter les manifestant-e-s. Chaque fois que cela s'est produit, le rassemblement spontané de la place a publié une déclaration sans équivoque sur le fait qu'ils n'avaient pas de représentant-e-s. Absolument aucune organisation n'est derrière les manifestations ou a été particulièrement impliquée dans la contestation. De nombreuses usines et lieux de travail sont aussi occupés par les comités d'organisation.

Les Frères musulmans ont été dans la rue avec tout le monde. Leur représentation est peut être estimée à plus d'un quart des participants, et ils ne sont pas dans une position particulièrement forte. Soit cyniquement, soit parce qu'ils sont trop occupés à prendre part à l'insurrection, ils n'ont fait aucun effort pour augmenter leur pouvoir ou prendre la tête du soulèvement, et ne sont pas en mesure de le faire. La camarade sur la place a affirmé avec force que la crainte d'une prise de pouvoir islamique en Egypte est surtout le fait de la paranoïa des médias occidentaux et rien de plus. Le discours des assemblées et des manifestant-e-s, qui est la seule puissance dans le pays à côté de l'armée -qui a choisi de ne pas intervenir en général- n'a cessé de souligner la bonne volonté et la solidarité entre musulmans, chrétiens et athées (dans un contexte culturel où habituellement l'existence d'athées n'est même jamais mentionnée).

Concernant la possibilité que Baradei [égyptien prix nobel de la paix, mis en avant en occident dans les médias] soit le prochain président du pays, la camarade nous dit qud cela est improbable car il n'a aucune légitimité parmi les manifestant-e-s, comme il n'a pas participé à l'insurrection (bien qu'il pourrait facilement être nommé ministre). Les revendications des manifestant-e-s sont, en grande majorité, en faveur des droits humains et de la démocratie. Une revendication commune est la tenue d'élections libres dans les neuf mois, sans pouvoir titulaire autorisé à exercer dans la période de transition. L'attitude des manifestant-e-s et leur expérience intense avec l'auto-organisation suggère au moins la possibilité que la société égyptienne ne se rendorme pas après les élections, mais qu'il existe un potentiel d'accroître et intensifier la lutte.

La camarade Place Tahrir a déclaré que dans l'ensemble, les gens manquent de savoir-faire en termes d'auto-organisation et de visions politiques, que la société égyptienne a été endormie sous la dictature pendant des décennies. Elle invite les camarades à venir visiter le site et établir des liens et une solidarité internationales. Actuellement, tout le monde se promène dans un état d'euphorie, de détente après 18 jours de combat, ils et elles font la fête, mangent, dorment. Les gens pensent que les soulèvements dans le monde arabe vont continuer, avec l'Iran comme pays de prédilection pour un soulèvement après l'Algérie.

Bientôt, il y aura un appel de propositions pour une journée internationale d'action contre Orange et Vodafone ou des sociétés liées à la répression (celles-ci ont participé à la grande coupure d'internet en Egypte). La diversité des tactiques est encouragée.


Points théoriques et stratégiques que je tiens à souligner:

A propos de la nature de l'insurrection comme une force de désubjectivation.

Les gens qui ont participé à l'insurrection ont été mélangés à travers un ensemble à multiples facettes et solidaire. Cela inclus même des gens que le rapport de classe aurait du dresser à voir le soulèvement avec une position d'extériorité.

Pour l'anecdote, un journaliste d'Al-Jazirah au beau milieu de la place Tahrir, sur une émission en direct, déclare avec exubérance :
"-Nous allons gagner! Nous allons gagner! ". Les studios ont répondu :
- Qui ça nous? Vous n'êtes pas le seul journaliste sur la place?
- Les gens! Le peuple! Nous allons gagner!
- Vous êtes envoyé là-bas en mission ! Vous travaillez pour Al-Jazirah.
- Oh. Oh, d'accord. "

A propos de l'argument entre «double pouvoir»* et insurrection.

Encore une fois, l'occasion de rompre avec le passé et de créer quelque chose de nouveau ne provient pas du seul fait de construire des infrastructures alternatives, mais d'une insurrection violente et spontanée. En outre, une fois de plus, le manque de visions fait que l'émergence de quoi que ce soit de vraiment nouveau risque d'être rendu impossible. La camarade sur la place nous a dit, le jour où Moubarak a démissionné, "Nous avons encore énormément à faire." Lorsqu'on lui a demandé en outre ce qu'elle voulait dire, elle a expliqué que la question que chaque personne se posait, mais aussi que les gens qui étaient les moins investis dans la participation poseraient à ceux et celles qui l'étaient plus serait sans doutes bientôt : « Et maintenant, que faire ? ». Et la conclusion écrasante aient que la plupart des gens n'en ont aucune idée. La démocratie a été la plus forte revendication, parce que c'est la seule chose que les gens connaissent et qui n'est pas la dictature.

Pour avoir parler avec des gens en Grèce, je suis également conscient que cette question s'est aussi posée là-bas, autour de Noël 2009. Fait intéressant : cela ne semble pas être le cas à Oaxaca, où survivent les cultures autochtones, et où on fait régulièrement la promotion de visions d'un autre monde possible. Peut-être la plus grande carrence dans la pratique insurrectionnelle est-il le mépris de visions, et l'incapacité de distinguer entre des visions enragées et des projets concrets (si vous ne comprenez pas, prenez des champignons hallucinogènes [psilocybine], puis lisez Parecon [théorie sur l'économie participative], et notez les différences dans votre journal.

Qu'est-ce qui a rendu ce témoignage possible, et qu'est-ce qui a permis la solidarité internationale au peuple d'Egypte?

Dans ce cas, comme dans presque tous les autres, la langue [les traductions], et les contacts personnels. Les camarades de notre ville ont seulement accès à l'information directe, au lieu des conneries diffusées dans les médias, parce que l'un de nos camarades parle arabe aussi bien que la langue que nous parlons, et il a des amis en Egypte, car il a voyagé là-bas.

Actuellement, l'anarchisme est une force uniquement en Europe et en Amérique. Tout anarchiste qui croit en la solidarité internationale se condamne à l'impuissance s'il ou elle n'apprend pas d'autres langues et ne voyage pas dans d'autres parties du monde pour se faire des ami-e-s. L'argument selon lequel le voyage est un privilège économique -même si il y a une part de vérité- conduit à une interaction ironique avec la situation actuelle: la grande majorité des relations internationales anarchistes existent grâce aux camarades des pays pauvres qui immigrent dans les pays riches en emportant leurs contacts avec eux et elles.

*Double pouvoir : concept développé par Lénine dans un article du même nom à propos des conseils ouvriers (soviets) face au gouvernement.

Traduction de l'anglais et annotations par « Le Cri Du Dodo ».
Source : News.infoshop.org

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